Marseille – Vivre dans la rue, un état d’urgence permanent

Depuis le 13 novembre 2015, l’état d’urgence est déclaré sur le territoire national. La dernière fois qu’on en avait entendu parler, c’était en 2005, lors des émeutes dans les banlieues et il ne concernait alors que 25 départements. A Marseille, comme ailleurs en France, les forces de l’ordre sont plus présentes que jamais dans l’espace public. Mesure de sécurité obligatoire ou marque d’une surveillance excessive ? Pour d’aucuns elles rassurent, pour d’autres elles effraient. Dans tous les cas, elles nous rappellent l’enjeu principal de la rue : la vie. Car la rue, le «dehors » est avant tout un lieu où l’on existe – ou survit pour certains. A l’heure où la présence policière s’intensifie, où les libertés sont restreintes, où la France annonce qu’elle pourrait « déroger à la convention européenne des droits de l’homme », que deviennent ces personnes qu’on appelle sans trop y penser Sans Domicile Fixe (SDF) ? Terme bien général pour des individus aux parcours si différents et aux modes de vie si divers, il regroupe tous ceux qui, rendus à eux-mêmes, évoluent, subissent ou se battent hors du cadre et des normes de la société. Ce sont eux au premier plan de la rue, eux les premiers concernés par l’Etat d’urgence. Eux, mais aussi tous ceux qui gravitent autour de leur monde fragile. Toutes les nuits, les rues de Marseille deviennent le théâtre de « maraudes » : bénévoles, associations, Organisations Non Gouvernementales (ONG) se déplacent à pied ou en voiture, à la rencontre de ceux qui ont besoin d’aide, de nourriture, de vêtements ou même seulement de présence humaine. Comment, dans ce contexte, appréhender le triangle que forment les SDF, les forces de l’ordre et les associations ? Rencontre avec les acteurs d’un état d’urgence au quotidien.

Opération Sakado

Face à la situation de ces invisibles, l’aide s’organise à Marseille. Pour certaines associations, elle se concrétise par des maraudes : des passages en véhicule ou à pied dans les rues où vivent des personnes défavorisées dans le but de leur distribuer une aide, alimentaire, vestimentaire, ou tout simplement du réconfort. C’est le cas de l’association de Raoul Kanazi et de son opération Sakado. Initiée en 2005, elle distribue des sacs à dos constitués par les Marseillais, en partenariat avec des associations locales, à l’occasion des fêtes de fin d’année.

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Raoul et Marie répartissent les affaires envoyées par les donateurs dans les sacs.
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Les sacs sont genrés. L’association assure que les femmes sont bien moins nombreuses que les hommes à vivre dans la rue
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Les bénévoles envoient beaucoup de vêtements, mais c’est surtout de médicaments dont a besoin l’association.

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A l’approche de Noël, des petites surprises (gâteaux et sucreries) sont aussi glissées dans les sacs.
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Marie et Raoul partent à la rencontre des SDF pour leur donner les sacs.
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Patrice « Pat » vit dans la rue depuis plusieurs années. Il est l’un des rares SDF à avoir accepté d’être photographié. A son coup pend le sac offert par l’association Raoul Kanazi.
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Jamel était militaire à Djibouti. Aujourd’hui il vit dans la rue et rêve de devenir photographe.
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Pierre est parti chercher du pain. Pietr porte un bonnet de père noël qui le fait paraitre encore plus grand. Pierre est français. Pietr est tchèque. Tchéquie est leur chien. Tous les matins, ils s’installent dans la rue et lisent des livres. Tous les soirs, ils rentrent dormir sous leur tente. Le chemin est long, ils demandent à Raoul et Marie des chaussures de randonnée et un sac de couchage léger « pour que ça ne soit pas trop lourd à porter dans le sac ». Pierre et Pietr ne boivent pas et font attention à leur hygiène de vie. En témoigne la dentition parfaitement blanche de Pietr : « Quand elles nous voient, les associations ne nous aident presque pas parce qu’elles disent que nous ne sommes pas alcooliques, et avons moins besoin d’elles que d’autres SDF ».

Etre bénévole chez les Restos du Coeur

Les Restos du cœur font aussi des maraudes. Tous les soirs, des équipes de cinq ou six bénévoles arpentent les rues de Marseille pendant 4h dans des camions estampillés du logo de l’association. Valérie est chef d’équipe le vendredi soir. Elle a déjà rencontré la plupart des SDF qu’elle croise sur son chemin : « Je ne leur demande jamais rien. Je ne fais que leur apporter des vêtements et de la nourriture. S’ils veulent me parler, je suis très contente, mais sinon je respecte leur intimité ». Elle en appelle certains pour leur donner rendez-vous, note ce qu’ils souhaiteraient pour la prochaine maraude. Ce sont les réguliers. Elle écrit aussi le nom des nouveaux, ceux qu’elle n’a jamais vu. Valérie raconte des histoires par dizaines, tous ces parcours, qu’elle a rencontrés, suivis, parfois perdus. Ce jour-là, la maraude dure longtemps. Il est plus de minuit quand le camion rentre au bercail.

 

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Valérie est chef d’équipe le vendredi soir. Elle conduit le camion, suivant un itinéraire qu’elle connaît désormais par cœur.
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Dans les camions, les bénévoles ont rassemblé de la nourriture (boites de conserve, pain, fruits, gâteaux, bouteilles d’eau) et des vêtements.
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Sur le chemin, les bénévoles des Restos ont remarqué plusieurs SDF. Le camion s’arrête un peu plus loin. Trois bénévoles vont apporter des sacs garnis de nourriture tandis que ceux restés sur place préparent les prochains paquets à l’intérieur du camion.
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A l’arrière du camion, il y a de l’eau chaude pour le café, le thé, le chocolat chaud et la soupe.

« Arrête-toi, il y a une tente sous le pont » crie soudain une des bénévoles des Restos du Coeur à la conductrice. Un couple et leur enfant vit dedans. C’est la première fois que les bénévoles les rencontrent. Ils leur donnent de la nourriture et un sac de vêtement.

 

Issu du  webdocumentaire « Vivre dans la rue à Marseille, un état d’urgence permanent »